Petits points cardinaux

Michel Séonnet

23 - Les amours de Gatti et de Rosa

Vendredi 31 août, à la Maison de l’arbre, à Montreuil. Je suis venu assister à l’une des représentations de Rosa Collective, une pièce de Gatti qui date du début des années 70 et qu’il a décidé de remonter avec une vingtaine de jeunes volontaires venus de Montreuil, de Montpellier, de Strasbourg. Des étudiants, de jeunes rebelles engagés dans des combats au jour le jour. Pendant toute la représentation, Gatti est là, au premier rang, qui soutient du poing et du regard, et n’hésite pas à mêler sa voix à celles des chants.

Difficile de ne pas faire retour en arrière. De retrouver à Avignon, un été 71, ce même Gatti toujours d’aussi noir vêtu, sur la scène de Théâtre Ouvert, donnant lecture de cette même pièce que, quelques mois plus tôt, il vient de créer à Kassel (RFA). Dans la salle, il y a un jeune homme d’à peine dix huit ans pour qui la rencontre décidera de toute sa vie (je l’ai raconté ici).

Plus de quarante ans, donc. Et on aurait pu penser que cette pièce ancrée dans la réalité duelle du Berlin de l’époque (Est/Ouest), avec ses références continues aux réalités des combats d’alors (Vietnam, Black Panthers, situationnistes de Strasbourg), ne soit qu’une sorte de musée que l’on visite avec sympathie.

Il n’en fut rien.

Avant tout parce que les pièces de Gatti sont de formidables machineries énergétiques. Et qu’emportés par celles-ci les questionnements d’une époque officiellement révolue nous emportent aussi, nous atteignent, et nous laissent nous aussi au pied du mur des questions : Où est le combat ?

Mais aussi (et là est peut-être la clé) parce que Gatti ne s’est pas contenté de monter la pièce dans ses dispositifs de l’époque. Sans quasiment rien changer au texte (sinon quelques coupes), il l’a passé à cette sorte d’accélérateur de particules verbales que sont devenus pour lui le jeu de bâtons, les enchaînements de kung-fu ou de tai-chi-shuan. Cette manière de jouer qui non seulement annihile toute tentation de psychologiser le jeu, de le rendre "théâtral", mais qui surtout, par cette mécanique impeccable des corps, fait entrer les mots dans la grande geste des particules, théâtre quantique, comme le dit Gatti.

Le résultat, c’est que par la force du jeu, cette pièce de plus de quarante ans semble venir se poser sans à-coups parmi celles (derniers avatars de l’œuvre) qui composent La traversée des langages parue cet hiver aux Éditions Verdier. Pas étonnant alors qu’au titre originel Rosa Collective, Gatti ait ajouté ce sous-titre en forme de poème comme le sont tous ceux des pièces de La Traversée des langages :

Le chant de la mésange charbonnière
demandé en épitaphe
par Rosa Luxembourg sur sa tombe
repris en titre pour dire sur les murs de la ville
la permanence du combat des humbles.

Que Rosa Collective puisse se prêter particulièrement à cette translation dans le temps, c’est ce que j’avais déjà écrit dans Présent ce soir, un article pour la revue Europe que l’on peut trouver ici.

Je n’ai pas eu à m’interroger longtemps pour savoir que cette représentation exceptionnelle de Rosa collective allait être le point de départ d’un texte qui m’a été demandé pour introduire un numéro spécial de la revue Siècle 21 consacré à Gatti.

J’en profiterai pour mettre en ligne un certains nombres de textes que j’ai déjà écrits sur Gatti et qui sont aujourd’hui indisponibles.

Ainsi ces quelques pages extraites de l’introduction à Gatti, journal illustré d’une écriture, catalogue de l’exposition 50 ans de théâtre vus pas les trois chats d’Armand Gatti qu’avec Stéphane Gatti nous avions monté à Montreuil puis au Festival d’Avignon 1985.

jeudi 13 septembre 2012

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