Petits points cardinaux

Michel Séonnet

32 - Splendeur des oliviers

Les oliviers imposent deux temps forts à ceux qui les approchent.

La cueillette, bien sûr, au début de l’hiver, ce moment de jubilation collective, malgré le froid, souvent (et oui ! en Provence le mistral en hiver peut être glacial), les olives à poignée qui roulent entre les mains, et l’odeur virulente lorsque, à la fin de la récolte, le dos plié sous le poids des caisses pleines à ras-bord, on pénètre dans l’antre du moulin, dans son odeur, comme si l’air lui même avait été passé au pressoir avec les olives.

Mais vient aussi au début du printemps, avant que la sève n’ait déjà fait basculer les arbres dans un nouveau cycle de vie, vient le temps de la taille ; dégager les branches de tous les "gourmands" branches infertiles qui poussent droit épuisant l’énergie de l’arbre ; rabattre ce qui, poussé trop haut, est devenu inatteignable aux bras même brandis du plus haut d’une échelle ; dégager le centre de l’arbre pour que la lumière et le vent qui fructifient puissent y circuler librement ; démêler les chevelures pendantes qui fournissent la majorité des fruits, en retirer le vieux bois, le bois mort, ce qui déjà a donné et ne donnera plus.

Si la cueillette se fait dans la jubilation et la fête, il y a quelque chose de beaucoup plus liturgique dans la taille qui ramène les corps et les esprits à la mémoire de rites antiques où il est question de vie et de mort, de sacrifice - tailler, c’est décider de possibles qui seront supprimés au profit d’une vie que l’on espère meilleure - et à voir ces arbres certains quasi centenaires que la main des hommes a fait fructifier année après année, à les habiter physiquement tous ces jours où, grimpés dedans, on passe en permanence avec eux du combat à l’étreinte, c’est comme au miroir de nos vies, ce que l’on coupe, ce que l’on laisse, puisque de l’enfance à mourir, vivre c’est cela.

Cette année, nous avons fait beau travail avec les enfants. Espérons qu’il aura été juste et bon.

De retour à la table à travail, et malgré la distance, cette sorte d’exil dans lequel je me tiens depuis tant d’années, il ne fallut pas longtemps pour que la puissance des oliviers vienne, une fois encore, imposer leur présence aux pages en train de s’écrire.

Peu de textes, ces dernières années, où ils ne sont pas.
Ainsi cette page d’un roman que je porte depuis des années et qui, après avoir été Les naufragés [1] est devenu Après les morts.

Poussé par le grand chant des oliviers, je continue la publication des séquences (9, 10 et 11) de Retour à la langue perdue.

Et pour les amateurs, je confie ici ce charmant poème de José Mange (né à Toulon en 1866) qui, déjà, comme je le fis moi-même pas plus tard qu’avant-hier en gare d’Austerlitz, pleurait les oliviers maintenus captifs dans de lourds pots de fleur censés "agrémenter" les rues parisiennes :

Dins la carriero de Rivòli
Ai vist blanqueja l’autre jour,
A la porto d’un marchand d’òli,
Un óulivié de moun Miejour.

Recebié la plueio, pécaire !
Pichounet passi, meigrinèu.
Tant luen, tant luen de soun terraire ;
Mai pamens coumo èro bèn éu,

Emé si fueio claro e blavo,
Dóu soulèu plourant li caud rai,
Emé sa rusco que semblavo,
Touto estransinado d’esfrai.

Plouro toujour, plouro enca mai,
Car dins la terro parisenco
Veira jamai qu’en un pantai
La verdalo frucho óulivenco.

Oulivié, sian parié toui dous :
Coumo tu dins la capitalo
Plóuri soulet li poutoun dous
De moun amigo prouvençalo.

lundi 13 mai 2013

Notes

[1Quoi qu’en dise cette page, le livre n’a jamais été publié.

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