Petits points cardinaux

Michel Séonnet

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C’était toujours la même histoire que je racontais, l’enfant solitaire que j’avais été, les heures passées sur la plage parmi les pigeons et les galets à regarder le va et vient des vagues, à me bercer de leur musique hallucinante, puis, glissant dans ma bouche deux ou trois de ces galets, je livrais bataille debout contre le bégaiement qui me sciait si souvent les jambes et la parole et m’offrait à la risée des beaux parleurs, là, face à l’eau bouillonnante et souvent bien plus bruyante que moi, je déclamais quelque poème de mon imagination qu’engloutissait aussitôt l’écume. Est-ce que livrant les mots à la brassée de l’eau j’espérais qu’ils parvinssent jusqu’à cet autre bord dont je ne savais tien ? Y avait-il vraiment une rive ? Et sur cette rive quelqu’un, un enfant qui comme moi, aurait jeté à l’eau sa parole incontrôlable ? Plus je venais auprès de cette eau malaisée mais confiante, plus je pressentais qu’au delà du bégaiement, au delà de ce moi-même dont je voulais déjouer les pièges à force de galets, c’était cet autre d’en face qui requérait et ma venue et mon attente, l’autre dont je ne devinais rien aussi longtemps que je fixais l’horizon, mais que j’imaginais posté à l’identique sur une même grève où les embruns au même instant le disputaient aux rayons naissant du soleil, cet autre qui, à entendre les mots que je jetais à l’eau pourrait me devenir un frère, ou bien encore, si l’eau portait semence, le vertige d’un amour.

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