Petits points cardinaux

Michel Séonnet

10 - 22 mars

Ce ne fut peut-être pas vraiment un 22 mars. La veille ? Le lendemain ? Peu importe. En décidant de cette date symbolique comme jour anniversaire du début de notre vie commune - ce jour-là, j’avais apporté chez Monique tous mes cartons de livres, ce qui valait au moins autant qu’un passage en mairie - nous voulions unir promesses de révolte et promesses d’amour. Pouvait-on mettre toute une vie sous les couleurs de Mai ? En tout cas, chaque année, nous saluions ce jour d’une fête, d’un bouquet, d’un voyage parfois, et il m’est impossible, depuis qu’elle n’est plus là, de le laisser passer sans avoir à honorer les gestes contraires de la bénédiction et de la lamentation.

Depuis la mort de Monique, je n’ai cessé d’écrire, sur elle, sa vie, sa mort, le miracle de notre rencontre, le désastre de sa disparation. Ce furent, mois après mois, plusieurs tentatives de livre. La dernière s’intitule L’Adieu au corps. Elle n’a pas trouvé d’éditeur. En exergue, il y a ces mots de René Char :

Je dis chance, ô ma martelée.

Ils viennent d’un poème de Recherche de la base et du sommet, poème à l’intérieur duquel, si c’est possible de le dire ainsi, nous eûmes souvent l’impression d’avoir vécu. Monique le savait par cœur, et je ne peux désormais l’entendre que dans le grain de sa voix.

Tu es mon amour depuis tant d’années,
Mon vertige devant tant d’attente,
Que rien ne peut vieillir, froidir ;
Même ce qui attendait notre mort,
Ou lentement sut nous combattre,
Même ce qui nous est étranger,
Et mes éclipses et mes retours.

Fermée comme un volet de buis,
Une extrême chance compacte
Est notre chaîne de montagnes,
Notre comprimante splendeur.

Je dis chance, ô ma martelée ;
Chacun de nous peut recevoir
La part de mystère de l’autre
Sans en répandre le secret ;
Et la douleur qui vient d’ailleurs
Trouve enfin sa séparation
Dans la chair de notre unité,
Trouve enfin sa route solaire
Au centre de notre nuée
Qu’elle déchire et recommence.

Je dis chance comme je le sens.
Tu as élevé le sommet
Que devra franchir mon attente
Quand demain disparaîtra.

C’est donc sous l’égide de Char que je veux mettre de 22 mars, et si, comme il l’écrit ailleurs :

A chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d’avenir

alors répondre aux refus de L’Adieu au corps par la publication, ici, de ce qui en est le premier chapitre, ouverture dans la pleine lumière de L’Atelier de Bonnard.

jeudi 22 mars 2012

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