Petits points cardinaux

Michel Séonnet

3 - Oubliés, toujours oubliés

Peut-être se souvient-on qu’il avait fallu quelques larmes au coin de l’oeil de Bernadette Chirac lors de la projection d’Indigène, le film de Bouchareb, pour que, s’émouvant de la situation faite aux anciens combattants "indigènes" de l’armée française, on envisage de réajuster leurs pensions à hauteur de celles de leurs camarades de combat de nationalité française. Pourtant, de "décristalisation" en "décristalisation", peu de choses semblent avoir changé sinon qu’en cours de route beaucoup sont morts, ce qui de toutes façons faisait partie du calcul : moins il y en aura, moins il y aura à payer. Les survivants, et en particulier ceux qui n’ont pas des carrières complètes, "seulement" quelques années de guerre en Indochine, en Algérie, à Madagascar, ceux-là continuent de viellir seuls et de mourir dans des foyers en France pour pouvoir bénéficier de minimums sociaux qui viennent compléter leur si maigre pension. Le manque de reconnaissance ne se rattrape pas. Les médailles accordées à quelques-uns ne changeront rien. Oubliés, toujours oubliés.

En 1996, alors que le Front national avait pris la ville de Toulon, j’avais entrepris dans La tour sarrasinede raconter comment en 1944 Toulon avait été libérée par ces Arabes qu’elle voulait maintenant jeter à la mer.

Plusieurs années après, en écho à ce travail, on m’avait invité avec le photographe Olivier Pasquiers à venir au foyer alors SONACOTRA de Beauvais pour recueillir les récits de ceux qui avaient participé à de tels combats pour la France et qui n’avaient que la misère pour récompense. Ainsi fut écrit Oubliés de guerre, entre Beauvais et la région d’El Kella des Shraghna où vivaient leur famille.

Plus tard, dans Trois ânes, un de ceux-là encore se glissa entre les pages de ce roman, venu mourir, lui, sur les pentes des Alpes d’où ces combattants téméraires avaient mission de déloger les derniers poins de résistance allemande.

Obsession ? Aujourd’hui encore, j’en suis à essayer de faire surgir les mots capables de rendre visage et histoire à l’un d’entre eux, survivant des rizières d’Indochine.

mardi 17 janvier 2012

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