Cette fois lorsque je suis arrivé, la mer jusqu’à très loin au large semblait alourdie de tant de boue que l’on aurait dit que les vagues avaient du mal à dérouler leur rythme habituellement si hautain, astral, comme si revenues aux premiers balbutiements du monde elles en étaient encore à la difficile séparation, ici l’eau, ici la terre, les noms eux-mêmes manquaient qui avaient charge de les faire exister dans leur différence et leur coexistence.
La terre avait fondu dans la mer.
De cela j’avais pu me rendre compte dès les emportements de roches rouges à travers lesquels le train creuse son chemin. Le cache cache habituel où le ciel, les vagues, et la sanguinité des pierres jouent une partition que l’on sait bien rodée, avait fait place à un lavis de bruns, ciel brun, mer brune, et même la roche avait perdu ses ocres au lessivage des pluies qui les jours précédents avaient tout accablé. Les rivières que le train franchissait semblaient de la même eau que celles dans lesquelles, à force d’y tremper le pinceau, quelque chose des différentes couleurs que le dessin requiert finit par s’y diluer, se mélanger, et n’en faire plus qu’une seule qui n’est finalement que l’absente de toutes.
Ou bien comme dans ces pratiques africaines où après avoir écrit à l’encre quelque verset du Coran sur une planche de bois, le marabout verse de l’eau dessus qu’il récupère dans un godet, et c’est cette eau contenant dilués les versets sacrés qu’il fait boire au malade, au repenti, au saisi par les esprits.
A recueillir dans une fiole un peu de cette eau engorgeant les vallons et menaçant les habitats humains, aurai-je pu emporter avec moi quelque chose du paysage jusque dans mon exil francilien et rêver qu’au fil des jours, l’eau ayant reposé, s’étant décantée, je verrais apparaître au fond du récipient des fragments des reliefs du pays quitté ?
Est-ce opération différente que celle que j’ai entrepris en écrivant L’enfant qui regardait la mer ? Tenir dans la fiole du livre les couleurs, les senteurs, le paysage et ceux qui l’habitent d’une enfance que le temps a dilué et que le travail d’écrire tente follement de faire advenir à ce qu’elle fut ?
Voici en tout cas la suite et la fin de L’enfant qui regardait la mer. Séquences 28 à 33.
Et pour ceux qui voudraient en (re)prendre la lecture au début, c’est ici.