Petits points cardinaux

Michel Séonnet

35 - Rue Saint-Blaise

Une rue, c’est toujours la possibilité d’être ailleurs. Celui qui, au lever du jour, a vu la rue Saint-Blaise naître de son asphalte, au milieu des platanes, a envie d’être un soleil...

En 1967, quelques mois avant que n’éclatent les événements de mai 68,
et alors que se multipliaient les projets d’urbanisme qui envisageaient la destruction de la vieille rue Saint-Blaise pour faire place aux constructions modernes que l’on connaît aujourd’hui, Armand Gatti venait à la rencontre des habitants de la rue Saint-Blaise avec cette proposition :

Essayez de personnifier le soleil qui se lève chaque matin sur notre rue - et d’imaginer quelles seront ses réactions devant l’événement qui nous intéresse. Voudra-t-il conserver la rue telle qu’elle est ? Ou bien va-t-il approuver l’apparition de nouveaux buildings sous sa trajectoire ?

A partir des propositions faites par les habitants, Armand Gatti écrivit
Les treize soleils de la rue Saint-Blaise.
La pièce fut créée en mars 1968 au Théâtre de l’Est Parisien.
Elle mettait en scène treize habitants de la rue Saint-Blaise qui tentaient de rêver leur rue et leur vie à une dimension véritablement humaine qui ferait de chacun d’eux un soleil.
A travers eux, s’exprimaient et se débattaient les utopies sociales et culturelles de l’époque, l’attente d’un monde meilleur qui depuis la Commune de 1871 avait donné espoir aux rues de Paris.
Un espoir qui renaîtrait dans les rues quelques semaines seulement après la création de la pièce - et qui en interrompraient les représentations.

"Sous les pavés, la plage" - ce slogan de Mai était déjà en germe dans la pièce de Gatti.

Lui donnant son mouvement de révolution solaire, il y avait ce chant :

Chaque homme est un soleil

Autour de lui gravitent ses passions,
la marche des années-lumière
et des années d’exploitation
sur la triste échelle des salaires.
Les heures d’hommes montent en fumée
et en poussière interstellaire.
A l’échelle — un jour d’horloge
tue aussi bien qu’un jour sidéral.

Chaque homme est un soleil.

Autour de lui gravitent ses peines
avec ses températures extrêmes,
ses protubérances, ses éruptions,
ses nadirs plusieurs fois la semaine
et le désespoir qu’il invente
pour oublier de tourner en rond.

Chaque homme est un soleil.

Autour de lui gravitent les matraques,
les minimums garantis, les C.R.S.,
les salaires, les caisses de vieillesse
et toutes les terreurs qu’il s’est inventées.

Chaque homme est un soleil.

Syndiqué ou sans carte, chaque soir
il meurt dans la constellation de l’Aigle
pour renaître le matin venu
dans celle des machines à pointer.

Chaque homme est un soleil.

Ce samedi 22 juin, avec mon comparse le graphiste Jean-Marc Bretegnier, dans le cadre des Traversées, festival organisé par le Théâtre aux mains nues d’Eloi Recoing, nous allons réintroduire dans la rue Saint-Blaise les treize soleils qui y virent le jour.
Affichage.
Interventions.
C’est un premier pas.
Dès l’automne, nous en appellerons à notre tour aux habitants de la rue :
que faire de ces soleils,
de ces rêves d’autrefois,
que faire de nos espoirs en des temps
où l’on nous annonce que le seul qu’il nous reste
est de tenter de faire fortune ?

Le retour du soleil est-il possible ?

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