Sur l’unique photo de cette époque que j’ai conservé de lui, on le voit en train de laver une de ces grosses gamelles de collectivités, camps scouts, colonies de vacances, il est dehors, il a neigé, il frotte la gamelle à l’eau d’un lavoir, pourtant on n’a pas l’impression qu’il fasse très froid, le soleil est sans doute venu contrecarrer les effets de la neige tombée la veille, à moins que ce soit la présence de la fille à ses côtés qui lui donne de l’ardeur, elle, ce sont des assiettes, (…)
Tout ce qu’il a découvert du monde, c’est au scoutisme qu’il le doit, c’est grâce à lui qu’il a pu sortir du cercle familial, qu’il a appris à se débrouiller avec des copains du même âge, la décision, l’autonomie, l’organisation aussi, deux années plus tôt, en 1968, un de ses "chefs" est en tête des manifs, militant à l’UNEF, l’autre, sympathisant d’Occident, plutôt à casser du gaucho, il écoute, il apprend, le monde est bien plus grand qu’il ne le croit, c’est par l’intermédiaire du (…)
Au mois de juin, fin de classe de première oblige, il a passé le bac de français, écrit, oral, matière de peu d’importance lorsqu’on est en section scientifique et que comptent avant tout maths, physique, chimie, il ne sait pas bien ce qu’il veut faire plus tard, n’y pense pas du tout, au petit jeu des carrières envisagées il est tout à fait inapte, plus tard ? il ne sait pas, peut-être n’a-t-il même pas conscience que cela puisse exister, il est bon en maths, il fait des maths, c’est la (…)
A relire aujourd’hui quelques uns des textes que Reverdy consacra à "la fonction poétique" et dont on peut penser qu’étaient extraits les passages lus et mémorisés par le garçon pour quelques heures seulement, on ne peut qu’être ébranlé par la justesse de son geste : il y est question (Cette émotion appelée poésie) d’un garçon entre quinze et vingt ans qui, découvrant les livres, y prend conscience de l’étrange pouvoir des mots qui lui révèlent qu’il y a en lui un lieu sans lien apparent (…)
"Coupe-les moi assez court !" avait-il lancé à sa sœur à peine rentré de l’oral du bac de français. Et elle s’était exécutée, ciseau en main, comme une reprise en complicité de ces moments où, plus jeune, elle le terrorisait, le poursuivant dans tout l’appartement avec ces mêmes ciseaux, lui faisant croire (quoi ? qu’elle allait le tuer ? les lui couper ?), bien assez en tout cas pour qu’il courût se réfugier dans sa chambre, bloquant la porte, Laisse-moi ! N’entre pas ! Sinon je le dis à (…)