"Coupe-les moi assez court !" avait-il lancé à sa sœur à peine rentré de l’oral du bac de français. Et elle s’était exécutée, ciseau en main, comme une reprise en complicité de ces moments où, plus jeune, elle le terrorisait, le poursuivant dans tout l’appartement avec ces mêmes ciseaux, lui faisant croire (quoi ? qu’elle allait le tuer ? les lui couper ?), bien assez en tout cas pour qu’il courût se réfugier dans sa chambre, bloquant la porte, Laisse-moi ! N’entre pas ! Sinon je le dis à maman ! ce que, étrangement, il n’avait jamais fait, comprenant sans doute que c’était une affaire entre elle et lui, affaire de quoi ? ils le ne savaient, ne s’en étaient jamais expliqué, et pourtant là, ce jour de fin de bac, ce fut, sans qu’ils se le disent, sorte de clin d’œil en direction des secrets de leur enfance, avec peut-être, de la part de la sœur, la mimique d’un geste de menace, mais aussitôt elle attaquait la coupe puisque c’était ça qu’il voulait, cheveux courts pour la plage, les vacances, sauf qu’au bout d’un moment la sœur n’avait pu que constater qu’à force de coups de ciseaux approximatifs, voulant réparer ce qu’elle avait raté, elle n’avait fait qu’aggraver la situation, c’étaient ici et là des trous irrécupérables à moins du geste ultime : elle était allé chercher le rasoir électrique de leur père, et dans un grand éclat de rire - T’es d’accord ? On y va ? - s’était lancée avec une jouissance non dissimulée dans cette œuvre de salubrité radicale, boule à zéro, pas d’autre solution, ça les faisait bien rire, surtout lorsque, le travail accompli, ce fut toute cette peau blanche quasi laiteuse qui apparut, faisant contraste avec le visage déjà bronzé par des séances de plage, affublé de lunettes noires il produisait un effet étrange, inquiétant, c’est en tout cas ainsi qu’il sortit immédiatement pour aller retrouver ses copains, jouissant à son tour de l’effet provoqué, puisque, à cette époque, boule-à-zéro c’était tenue de militaire, paras, fachos, toute cette engeance peu attrayante, ou sinon la tonte réglementaire et honnie imposée à tous les garçons au début du service militaire, la marque sur le corps du passage de l’état de civil à celui de soldat, ou alors c’était moine, la tonsure venant entériner le vœu, mais pour lui c’était quoi dans la fierté fragile de ses dix-sept ans ? à quel dieu, quel ordre, la sœur venait-elle de le consacrer ? Il est bien sûr tentant d’y trouver après coup le signe manifeste de ce temps où sa vie bascula, sa sœur, vestale improvisée, inconsciente, à moins qu’elle n’eût déjà à l’égard de son frère cette forme de savoir occulte que, par la suite, en maints épisodes, elle ne ferait que confirmer, faisant ce jour-là de son crâne une sorte de pierre blanche marquant l’origine d’un chemin dont il n’avait même pas idée, la tondeuse dans sa main officiant comme une bénédiction. C’est ainsi tonsuré qu’il débarqua au festival d’Avignon.