Tout ce qu’il a découvert du monde, c’est au scoutisme qu’il le doit, c’est grâce à lui qu’il a pu sortir du cercle familial, qu’il a appris à se débrouiller avec des copains du même âge, la décision, l’autonomie, l’organisation aussi, deux années plus tôt, en 1968, un de ses "chefs" est en tête des manifs, militant à l’UNEF, l’autre, sympathisant d’Occident, plutôt à casser du gaucho, il écoute, il apprend, le monde est bien plus grand qu’il ne le croit, c’est par l’intermédiaire du scoutisme que tout va basculer : "Europe 70", un grand rassemblement à l’échelle de toute l’Europe, y sont invités des jeunes de son âge, garçons et filles, scouts aînés de différents pays, il y a des rencontres thématiques dans différentes villes de différents pays, lui, c’est à Avignon qu’il va avec son équipe de "Compagnons", garçons de seize à dix-huit ans comme lui, ils ont choisi Avignon d’abord pour des raisons pratiques, ce n’est pas très loin de Nice, mais aussi à cause d’un certain attrait pour le théâtre, ils ont déjà joué des petites pièces, alors va pour Avignon, il a bien sûr entendu parler du Festival mais il ne sait pas vraiment ce que c’est, au programme ils ont des ateliers, des rencontres, mais le choc c’est surtout se retrouver au milieu de plus d’une centaine d’autres jeunes, anglais, allemands, espagnols, des français aussi, des françaises, parmi elles deux amies venues d’Aix en voisine avec qui ils sympathisent, ils : c’est à dire le duo qu’il forme avec son copain Jean-Marie, ce qui les frappe chez ces deux filles, c’est qu’elles se trimbalent avec des livres de poèmes dans les poches, il découvre des noms : Guillevic, Char, il ne sait de la poésie que ce que l’on en apprend à l’école, il est bon élève, mais justement c’est seulement de la matière d’école, pas de quoi s’extasier, apprendre, étudier, commenter, ça il sait faire, mais le plaisir que l’on en a ? la joie que cela apporte ? il le découvre là, à Avignon, il le devine plutôt, c’est quelque chose qu’il n’avait jamais envisagé, il marchait tout droit dans sa vie, brillant à l’école, charmeur pour les filles, leader pour les copains, mais ça : qu’on puisse dans ce peu de mots rassemblés sur une page entendre quelque chose si vibrant de soi-même, il n’en avait même pas idée, à peine si dans son enfance il a mis les pieds au théâtre, plus souvent à l’opéra, mais c’est la vieille tradition du grand-père, le concierge, qui chantait les grands airs en balayant bureaux et escaliers, la poésie ? quelques semaines plus tôt, il n’aurait pas su dire en dehors des définitions scolaires.