Petits points cardinaux

Michel Séonnet

La marque du père

lundi 1er mars 2010

En 1994, Michel Séonnet publiait un premier roman fort remarqué, Que dirais-je aux enfants de la nuit ? (Verdier). Sous couvert de fiction, il interrogeait, dans un huis clos saisissant, l’héritage de la honte et de la culpabilité d’une fille et petite-fille de milicien. Treize ans après ce livre, dans un récit âpre, dense et tourmenté, l’écrivain déchire le voile de cette malédiction qui n’a cessé de le hanter.

"C’est comme si j’avais toujours préféré imaginer. Comme si j’avais vite su que questionner, ce serait, quelle que soit la manière de m’y prendre, faire et refaire le procès de mon père, à charge, je m’y suis toujours refusé, refusant d’être son juge, (...) refusant de rompre le contrat de silence auquel j’avais fini moi aussi par m’associer. "

Un contrat passé dès l’enfance autour d’un petit rond bleu tatoué sous l’aisselle de son père, signe de son engagement à 20 ans dans la Division Charlemagne. " Une marque de silence " apposée tel un verrou sur sa vie et celle des siens. Une marque creusant un abîme que son fils, jeune militant d’extrême gauche, proche de la Fraction armée rouge, écrivain et préfacier de l’oeuvre d’Armand Gatti, dramaturge et résistant, n’aura de cesse de vouloir combler, " la pelle d’écrire toujours à la main ".

Fondatrice de ses peurs, de ses rêves, de ses cauchemars, des images qu’il reconstitue (celle d’un jeune soldat, bras tendu, face au drapeau allemand), de sa quête éperdue pour savoir et comprendre, cette marque du père est là, obsédante, entêtante avec sa rumeur des camps. Tel un point spectral sinuant entre les souvenirs, les doutes, les interrogations, elle porte ce récit autobiographique qui se lit comme une longue adresse à ce père à jamais mutique.

Une adresse digne et émouvante pour dire le poids d’une filiation, d’une malédiction et, finalement, d’une acceptation : " Je n’ai pas d’autre issue que de dire oui à ce que tes errances, tes silences ont fait de moi. Oui à mon nom. Oui à ma venue dans cette filiation-là. (...) Un oui qui ne te dédouane de rien. Qui ne cherche en rien à s’immiscer dans les gestes d’un pardon. Qui ne se substitue pas, non plus, à une demande de pardon adressée aux victimes. Un oui qui, justement, se tient dans cet espace d’une impossible demande de pardon. Dans le silence que laisse en moi ce mot. "

Christine Rousseau

Le Monde, 23 février 2007

© Michel Séonnet. | Contact        SPIP | squelette | | Suivre la vie du site RSS 2.0     Réalisé par Rature.net