Petits points cardinaux

Michel Séonnet

Petit livre d’heures à l’usage de ma soeur

Editions L’Amourier, 2006
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Préface

Quelques jours après Noël, ma sœur m’a demandé de lui écrire un “Livre d’Heures”. Avec toutes les illustrations, elle a dit. Ma sœur affiche habituellement une allergie profonde aux choses de la religion. Elle moque ma pratique. En tout cas ne la comprend pas. Et sa demande n’est en rien le reflet de quelque changement d’attitude. Elle dit qu’elle ne veut pas de choses pieuses. Pas de citations. De références. Elle tient malgré tout à cette appellation. Que ce soit un “Livre d’Heures”. Ma sœur vient d’être opérée d’un cancer du colon et subit en ce moment la violence d’une chimiothérapie que l’on espère salvatrice.

Quel lien entre la maladie et la demande ? J’ai d’abord essayé de voir à quoi ressemblait un Livre d’Heures. J’avais bien sûr en tête ces images grandioses des “Heures du duc de Berry” (et ma sœur doit les connaître aussi). Je me rappelais que le premier roman que j’avais écrit (sans succès) tournait autour d’une lettrine - la lettre R - d’un tel manuscrit du moyen-âge. Après de rapides recherches j’ai au moins compris qu’il ne fallait pas confondre ces Livres d’Heures - livres de dévotion censés accompagner les jours des croyants en leur rappelant les “mystères de la foi” - avec les livres d’heures monastiques qui égrènent la prière tout au long de la journée, de matines à complies, psaumes, hymnes, lectures. Ce qu’on appelle Livres d’Heures ne sont pas à proprement parler des livres de prières. Pour l’essentiel, on y trouve (mais les compositions varient suivant les auteurs et les destinataires) : un calendrier (chaque mois illustré) ; des Fragments d’Evangile ; les Heures de la Vierge (l’enfance de Jésus) ; les Heures de la Passion (les derniers jours de la vie du Christ) ; les Heures du Saint-Esprit (épisodes de la vie de Jésus où le Saint-Esprit se manifeste) ; les Heures de la Trinité (présence des trois personnes divines ) ; puis vient l’Office des morts ; les Heures de Saint-Jean-Baptiste ; et enfin ce qu’on appelle le Suffrage des Saints, autrement dit des pages consacrées à différents saints sans doute chers au commanditaire. Parce que compte aussi que ces livres d’avant l’imprimerie sont pour l’essentiel de commande privée. La série viendra plus tard, mais ce sera déjà le déclin de cette pratique.

J’ai beau tourner cette liste dans tous les sens, je ne vois rien qui puisse convenir à la demande ambiguë de ma sœur. Elle me demande l’impossible : un livre pieux pour une impie ! Sans compter que l’essentiel de l’attrait d’un Livre d’heures réside dans les illustrations, leur renommée vient de là, or je ne vois pas comment je pourrais y répondre à moins de sous-traiter l’affaire auprès de quelque ami peintre ou illustrateur. Mais même dans ce cas là, il faudrait que je leur propose des thèmes, un cahier des charges. Je ne vois pas comment.

Au moment où je suis prêt à baisser les bras, ces mots que j’ai écrits un peu comme une boutade - un livre pieux pour une impie - me remettent devant les yeux la grande question de Dietrich Bonhoeffer (et je sais que ma sœur a lu le livre que je lui ai consacré) : Comment le Christ peut-il devenir le Seigneur des non-religieux (dans un monde devenu majeur pour lequel l’hypothèse de Dieu est désormais superflue) ? C’est ce terme qui m’y appelle : Seigneur des non-religieux. Ce mot : Religienlosen (que l’on peut traduire par irréligieux, a-religieux, non-religieux, bien moins contre la religion que sans, indifférence plus qu’opposition), et qui convient très bien à ma sœur.

La demande de ma sœur serait donc d’un livre d’image pour l’édification d’une non-religieuse en des heures pas faciles ?

J’aime bien ce mot d’édification - même si l’usage qu’on en a fait l’a souvent rendu détestable. Edifier, c’est construire. Porter plus haut. L’édification ce serait alors ce qui aide à tenir debout. Ce qui aide à (se) construire.

De Bonhoeffer j’ai depuis longtemps épinglé au mur du bureau cette citation : Nous avons besoin non pas de génies, de cyniques, de contempteurs, de tacticiens raffinés, mais d’hommes simples, humbles et droits. Notre force intérieure sera-t-elle assez grande pour résister à ce qu’on nous impose ? Ça, l’édification “non-religieuse” ! Devenir simples, humbles et droits. Ailleurs il dit simplement : être un homme.

De la même manière que j’ai épinglé au mur du bureau cette phrase, ce sont un peu partout des images : cartes postales, reproductions, découpes de journaux, dessins, textes aussi comme des affiches. Et je me souviens de ces temps où tout semblait devoir s’écrouler et que, les regardant, je savais avoir là de quoi faire face à ce qui venait. De quoi me soutenir. De quoi m’édifier.

C’était lors du compte à rebours qui précédait la fin de l’ultimatum de la première guerre du golfe. On savait le jour. On savait l’heure. Tout le reste était craintes et fantasmagories. Les armes surpuissantes de Saddam Hussein. Le Moyen-Orient qui allait s’embraser. Israël en guerre. La guerre atomique. Comme si c’était l’Apocalypse que l’on attendait (nous sommes une génération ignare en matière de guerre). Je me souviens qu’à cette époque ma sœur était enceinte de sa fille qui naîtrait à l’été.

Je m’étais mis à écrire. Les heures de cette attente. Et ceci que j’ai retrouvé, simplement daté de janvier 1991 : L’heure est-elle venue de dresser l’état de ce qui a été mis en réserve ? A chacun ses réservistes. J’en appelle aux miens. Non : ce sont eux qui appellent, qui harcèlent. Et il n’est plus possible de se boucher les oreilles... Ils parlent du fond de l’inquiétude.

Et déjà c’était le galet, premier nommé, parmi ces “alliés substantiels” (j’avais emprunté les mots de René Char - manière qu’il soit présent lui aussi). Epinglés sur les murs du bureau, disposés sur les étagères, ou bien abandonnés à eux-mêmes sur le bureau ; ils attendaient : que vienne l’heure où je ferais appel à eux.

Les revoici.

Parce que je sais maintenant que ce ne peut être que cela, ce Livre d’Heures. Ces objets édifiants, ces images. Partagés au jour le jour. Armes de patience autant que de résistance.

La plupart étaient déjà là il y a treize ans.

J’en appelle encore à eux.

Sommaire

Saisons

mésanges
galet
liège
eucalyptus
marron

Justes

Kafka
Primo Levi
Baudelaire
François d’Assise
Thibirine
Jaurès
Marcos

Couleurs

Rebeyrolle
Malevitch
Matisse
Cézanne, Giacometti

Visages

Ka-aper
Vierge de Miséricorde
Pierre et Jean

Citations

Psaumes
Isaïe
Hermann Broch
Gerrad Manley Hopkins

Lieux

Chênes
Sainte-Roseline
Notre-Dame des Fontaines
Vallée de Merveilles

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