Des coups donnés, réguliers ; des coups infligés à une porte… trois fois rien dans la nuit… un enfant les perçoit pourtant et l’histoire est enclenchée.
Ça part de rien, et l’on est happé par un récit conçu comme ces tourbillons de fleuve qui nous emportent, par cercles concentriques, dans les tournoiements de l’Histoire.
Un Lino, un Samir, une Sara… trois collégiens vivant dans notre France contemporaine suivent mystérieusement un âne, accompagnés par le gardien de leur établissement scolaire. Ils vont la nuit, traversent le temps et nous acceptons d’emblée cette trouée offerte par le merveilleux.
Ils avaient l’impression que l’âne les faisait entrer à l’intérieur même de
la nuit. Il avait ouvert les portes de la nuit. Maintenant ils s’enfonçaient
dans ses profondeurs.
Nulle question, car le récit est scandé par le pas de l’âne.
Et l’animal vient de loin.
Du fond des âges de l’humilité. Il nous “ parle ” donc et nous n’en sommes pas surpris. Il est en nous. Il est nous. Il incarne la meilleure part de nous-mêmes, celle qui avance pas à pas, qui sait où il faut aller.
Les enfants suivent donc, bientôt poursuivis par les parents. Car l’ordre du pas mesuré de l’âne a créé le désordre dans la ville.
L’âne vient de loin, il sait où il va. Son souffle a réchauffé un nouveau-né qui a connu pour toute crèche une étable. C’est dire si sa mémoire est riche, d’humanité, chargée de tendresse et de salut.
Dans le texte, l’âne va son pas, et donne aux lignes un rythme, musical et d’ascension, car son regard porte toujours plus haut. En avançant vers la maison perdue à flanc de montagne, Lino, Samir et Sara renouent des fils venus des fonds sombres de notre monde : C’est ce que ma mère m’a dit au téléphone. L’âne est venu
les chercher pour les conduire dans l’histoire. C’est ce qu’elle a dit.
Comment dire cette histoire ? comment dire l’Histoire ? en allant pas à pas, comme l’âne, en cassant l’écorce des jours, en acceptant le défilement du conte.
Face à l’horreur des fuites, contre les peurs de la traque se dresse une figure impavide et débonnaire. Tenace aussi et lucide. Ce que l’abomination des hommes ronge et rogne, se recompose dans une figure conductrice, que l’on se plaît à suivre. Et si l’âne se nomme ici Semper, c’est que depuis toujours il connaît la source merveilleuse de la sagesse. À notre orgueil, à notre besoin de puissance s’oppose l’humble métaphore de notre condition profonde : un pas plus un pas. Quelle que soit la charge. Quelle que soit la difficulté. Un pas plus un pas et on finit par arriver.
En marche donc, pour une lecture défiant les sentiers pierreux. À son terme nous prêterons une oreille différente à l’insolite langage de l’équidé Mais lorsqu’on entendait un âne qui brait, il valait mieux faire des prières, parce que l’âne venait de voir le diable.
“Le Shatân ”.
Toujours la complexité de notre situation dans le monde s’exprime en contes limpides. Apparemment limpides ; mais chargés comme des ânes.
Yves Ughes, Journal des amis de l’Amourier
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