Lorsque j’ai commencé à réfléchir à un texte sur Les glaneuses de Millet, je ne savais pas trop où cela me mènerait. J’aimais ce tableau pour sa lumière, sa paix, la beauté de ces femmes au travail. Et puis, chemin faisant, j’ai découvert que c’était, pour Millet, une manière de contester l’ordre établi qui fait que certains débordent de richesses alors que d’autres en sont réduits à mendier ou à glaner. C’est alors que j’ai regardé Les glaneurs et la glaneuse, un film documentaire de la cinéaste Agnès Varda. On y voit toutes sortes de glaneurs et de glaneuses d’aujourd’hui qui vivent en récupérant ce que d’autres jettent. J’ai alors compris que les glaneuses du tableau de Millet je les voyais presque tous les jours, le soir, dans les rues autour de chez moi. Parfois accompagnées de leurs enfants, elles viennent fouiller les poubelles à la recherche de vêtements, d’objets qu’elles pourront revendre. Leurs familles vivent de nos restes. Ce qui était injuste du temps de Millet l’est toujours. Le tableau qu’il a peint met à l’honneur et en beauté ces femmes misérables que l’on montre du doigt. Maintenant je pense à cette beauté quand je vois les glaneuses d’aujourd’hui penchées sur nos poubelles. Je pense à Jeanne-Marie quand je vois des gamines les accompagnent. Pourquoi ce nom de Jeanne-Marie ? Il vient d’un poème d’Arthur Rimbaud, Les mains de Jeanne-Marie. Un poème que Rimbaud écrivit en hommage aux femmes de la Commune de Paris qui s’étaient battu pour la liberté, l’égalité, la fraternité. « Jeanne-Marie a des mains fortes / Mains sombres que l’été tanna... » Ce simple prénom est pour moi manière de faire de cet album un discret hommage à celles qui sont réduites à la misère mais qui ne baissent pas les bras. La chant que le violoneux chante à la fin de l’histoire est un chant de paysans révoltés à l’époque de Millet. Il dit le rêve de ce temps où la vie sera belle et la justice pour tous.
