Petits points cardinaux

Michel Séonnet

Extrait 1

Chants d’entrée

1 – Bonheur à l’homme

Et ça venait.
Fort.
Vite.
A croire que c’était l’Égyptien qui levait ses armées aux confins du désert.
Ou des nuées de sauterelles équipées pour le désastre.
Çà montait comme un mur qui aurait entrepris de rétrécir le monde.
Tout le sud était pris.
Jaune.
Obscur.
Dans le plan des malfaisants.
Ça s’approchait.
Dans le chemin des égarés.
C’est sur Béer Shéva, disaient les uns.
Déjà sur Hébron, disaient d’autres.
Tant que la menace était au loin, on avait encore le temps de prier, de sacrifier les animaux qu’on avait sous la main. Mais viendrait l’heure où il n’y aurait plus qu’à se mettre à l’abri.
Dans la demeure des moqueurs..
Même la tente du dieu dressée sur l’esplanade en serait menacée.
L’arche tremblerait. Les prêtres auraient du mal à la maintenir.
Quand ça viendrait ce serait comme si le dieu s’en prenait à sa propre présence au milieu du peuple.
Jusqu’au bout, certains avaient agité un mince espoir.
Lorsque les masses jaunes et obscures se lanceraient à l’assaut du pays de Juda, disaient-ils, le promontoire rocheux sur lequel était bâtie la cité de David serait une étrave assez puissante pour fendre en deux leur ruée comme d’un coup de cognée. Un flot se jetant par la vallée du Khédron, l’autre par le ravin du Trophyon. Soufflant. Hurlant. Engloutissant. Mais épargnant Jérusalem. La cité de David flottant par-dessus cette mer jaune obscur comme autrefois Noé sur les eaux du déluge.
Comme un arbre replanté sur des cours d’eau.
Mais les espoirs étaient loin. D’heure en heure le vent s’était renforcé.
Le roi lui-même était revenu se terrer dans sa chambre.
Tous les curieux qui, un temps, s’étaient postés sur la muraille pour voir venir ce qui venait, avaient fini par rentrer chez eux.
Seuls les miliciens kérétiens demeuraient à leur poste aux portes de la Cité.
Mais à quoi pourraient bien leur servir leurs lances, leurs boucliers de cuir, ces armures dont ils se harnachaient, quand viendrait la furie ?
Ils veillaient pourtant.
Protecteurs.
Défenseurs.
Un pan de leur manteau ramené sur le visage.
Un foulard.
Le casque.
Plus que les yeux.
Le vent avait accéléré sa danse.
C’était un vent sans air.
Plus que du sable.
Même à travers le foulard, le pan du manteau, la respiration ne devenait plus possible.
Même à travers les lèvres.
Les narines.
Toute la poussière du désert devenue vent.
Fouet.
Marteau.
Toute la puissance du vent convertie en silex.
Piques.
Couteaux.
Légion de clous.
Une nuit de plein jour dans le fracas de tout ce qui battait.
Et la chaleur.
L’impression que toute vie allait périr sur pied dans la brûlure du cataclysme.
On aurait dit de grandes explosions venues du fond de la terre.
Des tournoiements de sable d’un jaune érubescent.
La maison de David semblait comme un navire à la dérive.
Ils ne seront pas debout les malfaisants
Corridors vides.
Salles vides.
Abandonnés de tous.
Les Kérétiens eux aussi avaient fini par se retrancher, livrant la ville à son envahisseur.
Dans sa chambre, le roi de dieu dévêtu, les bras aussi secs que le vent, le torse, les poils, les cheveux comme de cendres jaunes, courait de tous côtés comme s’il en avait perdu l’esprit.
Les chants ! Les chants !
Cela faisait longtemps que plus aucun chant n’était venu à ses lèvres.
Depuis des jours, il tenait déroulés sur la table de sa chambre ceux qu’il avait écrits autrefois, comme des offrandes, ou des appâts, qui auraient été capables d’attirer d’autres mots, d’autres chants, la beauté à nouveau reconquise.
Dans le rassemblement des justes.
Mais maintenant le vent les brassait. Les déchirait. Les faisait tournoyer dans l’air sale.
David ne voulait pas les perdre.
Il se jetait de droite et de gauche.
Apostrophait la tornade.
Ne prends pas ça ! Ne prends pas ça !
Il se battait. Se débattait.
Tentait d’arracher les précieux manuscrits aux mains sauvages du vent.
Ceux qu’il avait réussi à sauver, il les serrait contre lui.
Comme des enfants perdus.
Retrouvés.
Leur faisant protection de son corps.
Et le chemin des malfaisants se perdra.

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