Chants de David
34 - Quand il avait changé l’apparence de son sens
Avait-on cru à quelque supercherie de David qui aurait contrefait le froid qu’il ressentait ?
Comme autrefois.
Devant Avimelek qui l’avait chassé et il s’en est allé.
On avait décidé de lui amener une fille.
Une vierge.
Adolescente.
Dont la jeunesse pourrait sinon le réchauffer du moins mettre à l’épreuve sa virilité.
Après on déciderait de sa capacité à régner.
Celle qu’on trouva s’appelait Avishag.
On l’avait dénichée à Shounem, aux limites du royaume, dans la tribu d’Issachar.
Le voyage fut long.
Elle qui n’avait jamais rien vu d’autre que son village vit Bet-Shéan, elle vit Sichem, elle vit Béthel.
Toute une caravane l’accompagnait.
A peine fut-elle arrivée à Jérusalem, à peine descendue de son âne, que des femmes la prirent en main, la soumirent à toutes sortes de bains, des huiles, des onguents. Certaines, parmi les plus expérimentées des concubines, se chargèrent de lui donner quelques conseils pour ramener le roi à la vie.
Les malheureux écouteront et seront en joie.
Lorsque l’heure arriva où l’adolescente fut parée, des hommes vinrent qui l’effrayèrent. Ils l’informèrent de l’importance de sa tâche. Sorte de harangue à bien faire. Il s’agissait ni plus ni moins que de sauver le roi et subséquemment le royaume. D’ailleurs, pendant qu’elle agirait, le prêtre Sadoq implorerait et ferait des sacrifices pour le succès de son entreprise.
Et leur visage non n’a pas rougi.
On la fit avancer jusqu’à la chambre du roi.
Elle était effectivement très belle. De cette beauté à peine fleurie qui éclaire de l’intérieur les adolescentes. Quand elle marchait on aurait dit qu’elle dansait. David l’aurait-il regardée qu’un chant lui serait aussitôt venu à la bouche.
Mais il n’avait même pas ouvert les yeux.
Elle était là, sur le seuil, ne sachant trop que faire devant cet endormi.
On lui avait dit être venu la chercher pour se coucher sur le sein du roi de dieu et le réchauffer de sa jeunesse.
C’est ce qu’elle fit.
Elle se déshabilla.
Se glissa dans le lit.
Elle crut avoir pénétré dans une grotte humide et froide.
Et de toutes mes frayeurs il m’a secouru.
Elle comprit aussitôt qu’au lieu de préserver le gisant du froid extérieur, l’entassement de couvertures sous lequel il croulait ne faisait que le maintenir dans son propre frisson. La source du froid était à l’intérieur du lit pas dans la chambre dont les braseros poussés au rouge chauffaient l’air comme du fer plongé dans leur braise. Le roi n’avait pas froid. Il était lui-même le froid. Et plutôt que le protéger de ce qui l’entourait, c’était de lui-même qu’il fallait le faire.
Couche après couche Avishag avait dégagé le roi du tombeau de couvertures qu’on lui avait infligé.
David fut nu sur la couche.
Voici un miséreux a appelé.
Comme un enfant.
Ou un mort.
Mais les yeux grands ouverts, se demandant ce qu’il se passait.
Ce corps à peine femme pesait sur lui aussi peu que de la laine qui venait d’être tondue.
Ils restèrent ainsi.
Sans bouger.
Mais au lieu que ce soit la chaleur de l’enfant qui finisse par contaminer le corps du vieillard, c’est elle qui fut saisie.
L’adolescente pénétrée par le froid bien plus violemment que ne l’aurait fait le sexe de l’homme.
Froid contre froid.
Le contact de cette peau usée la blessait.
Les os du roi la meurtrissaient.
Avishag ne bronchait pas.
David soupira.
Il écarta de son visage une boucle de la chevelure de soie de l’enfant qui reposait sur lui.
Ce fut son premier geste.
Avishag se souleva légèrement.
Dégageant ses seins de la poitrine du roi, son visage de son cou, elle laissa doucement balancer ses cheveux sur son torse, ses lèvres, ses yeux.
Les lionceaux démunis et affamés.
Elle crut discerner un frémissement dans le corps qu’elle recouvrait. Elle poursuivit. Balançant sa chevelure sur ses épaules, son ventre, son sexe que le froid avait tellement rabougri qu’il disparaissait presque sous la toison crépue.
C’était donc ça que tout le palais attendait qu’elle ramenât à la vie !
Qui est l’homme désirant la vie.
Il semblait bien indifférent à sa présence.
Elle couvrit à nouveau le corps du roi.
David soupira.
En écho Avishag soupira, comme si ce pouvait être un début de dialogue.
Quelque chose avait l’air de se défaire.
De s’alléger.
Comme si, malgré tout, son corps avait un effet émollient sur celui du roi.
David respirait paisiblement.
Avishag avait froid.
Elle tira doucement les couvertures sur eux.
Ne bougeant plus.
Elle en avait oublié l’étrangeté de la situation - se retrouver ainsi pour la première fois couchée sur le corps d’un homme, couchée sur le corps du roi.
La fatigue du voyage fut la plus forte.
Elle s’endormit.
C’est peut-être à ce moment-là que David prit véritablement conscience de sa présence.
Il dégagea une de ses mains pour la poser sur l’épaule nue de l’enfant.
Refuge en lui.