"C’est une saga."
Une mince et vivace saga comme le sont toutes nos histoires de famille. Sauf que celle-là cumule, elle fourmille, elle exagère, on se pince, on se dit,, non c’est pas possible, non pas ça, pas lui, pas elle, pas comme ça.
On se pince et on est pris, on est happé, avalé, ému, emporté, roulé dans la farine de la grande Histoire et des petites vies qu’elle traverse, aplatit, broie, renverse, retourne.
Il y a des départs, des maisons, des terres, des oeillets, du soleil vertical, une enfance perdue, des retours, un village, des étiquettes et des bordereaux, des oliviers, des cueillettes, des fillettes, un fils, un notaire, des ponts coupés, une guerre, des fonctionnaires, une ville, une marraine, un parrain, des héritages, des légumes, des charrois de légumes, des nuits blanches, un tramway, des soeurs épousées, de l’irrémédiable, des prières, un chien miraculeux et des anémones rétives. Il y a le monde et ses tenaces litanies. Il y a de l’amour qui ne sauve pas, ne suffit pas à sauver. Il y a un père, une mère, un homme, une femme, et leurs prénoms qui tremblent au bord de l’oubli.
C’est une saga sans effet de manche racoleur, sans pathétique et sans trémolo, sans complaisance. Une saga du verbe travaillé qui se tient et qui chante, parce qu’Eugène chante. Tout lui échappe, il a des mains de beurre, autour de lui ça meurt, ça finit, ça dérape, ça va droit dans le mur, et il chante.
Il chante.
Les chansons sont dans le texte, sont le texte.
On les entend.
Je les entends.
Eugène chante.
Marie-Hélène Lafon