Petits points cardinaux

Michel Séonnet

L’âne-gardien

(Les dessins sont de Cécile Geiger)

Il y avait un enfant qui avait peur d’aller à l’école.
Il avait peur d’y être battu par des enfants plus forts que lui.

Mais un jour il rencontra un âne.
Un âne grand. Un âne fort.
Il voulait bien l’accompagner à l’école
et venir le chercher tous les jours.
Comme ça l’enfant n’aurait plus peur.

A part l’enfant, personne ne voyait l’âne.
Mais l’enfant savait bien qu’il était là.
Il sentait son souffle contre sa main.
Le poil rêche de son cou contre sa joue.

Pendant que l’enfant était à l’école,
l’âne passait de longs moments
à discuter avec un mendiant
qui faisait la manche
à la porte de l’église voisine.

Le mendiant disait que l’âne était un ange.
L’âne pensait que c’était le mendiant qui était un ange.

Personne,
à part le mendiant et l’enfant,
ne voyait l’âne.
Personne,
à part l’âne et l’enfant,
ne voyait le mendiant.

Âne et mendiant discutaient tellement
qu’un jour l’âne rata la sortie de l’école.
Ce jour-là, des grands de l’école en profitèrent
pour embêter l’enfant.

Il eut si peur qu’il fit dans sa culotte.
Il n’osa pas rentrer chez lui de peur de se faire gronder.

L’âne partit à sa recherche dans la ville.
Mais ça lui était difficile de demander aux gens
puisque personne ne le voyait !

Si j’étais un chien, se disait l’âne,
je pourrais le suivre à la trace.

Si j’étais un oiseau, se disait l’âne,
je volerais au dessus de la ville
et je finirai par voir où il est passé.

Si j’avais une moto, se disait l’âne,
je pourrais parcourir avant la nuit
toutes les rues de la ville
et je retrouverais l’enfant.

Au moment où il passait devant une église,
l’âne entendit une voix qui lui disait :
— Mais espèce d’âne, tu as oublié que tu es un ange !
C’était un ange qui lui parlait. Un vrai ange.
Un ange de pierre sculpté au porche de l’église.

De porche ne porche, d’église en église,
les anges de pierre se passèrent le mot :

— On cherche un enfant tout seul qui a la culotte mouillée.
Mais ce fut sans succès.
C’était un enfant qui ne fréquentait pas les églises.

Or il y avait dans cette ville-là
un ange plus haut que tous les autres anges.
Perché au plus haut du plus haut des monuments
il voyait tout encore mieux qu’un oiseau.
Il ne mit pas longtemps à repérer l’enfant.

L’enfant était dans les cailloux au bord de la mer.
Les pieds traînant dans la vague.
Il ne comprenait pas que l’âne l’ait abandonné.
De colère, il jetait des galets dans la vague
comme si c’était à la figure des grands
qui s’étaient moqués de lui.

— Où étais-tu ? Où étais-tu ? cria l’enfant
quand il vit arriver l’âne sur la plage.
Et il donnait des coups de poing
sur le grand front si dur de l’âne.
— Monte, dit l’âne.

Ils allèrent longtemps,
tout le long de la mer,
éclaboussés de vagues.

— Comment as-tu fait pour me retrouver ? demanda l’enfant.
— Chut ! dit l’âne. C’est un secret d’ange.

Quand l’enfant rentra chez lui
sa culotte était encore toute mouillée.
Mais c’était d’eau de mer.
Plus personne ne pouvait se moquer.

Les dessins sont de Cécile Geiger - http://www.cecilegeiger.com/

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