Quelques textes de "Recommencer (avec) la mer" qui font ménage avec le jazz de Theolonious Monk, Chris Potter, Art Farmer, Wayne Shorter et autres - sur RCF Nice Côte d’Azur, à écouter ici
Mer grise perdue dans les nuages les oiseaux ne vont pas loin
où sont passés les bateaux ?
un sillage, pourtant, pâle comme le ciel l’impression qu’il entre par la fenêtre d’un immeuble au grand dôme noir
que va-t-il y trouver ?
des trouées bleues dans le ciel ramènent peu à peu la mer vers son état natal
mais il y a encore loin
est-ce que les courants vont porter jusqu’ici les noyés des frontières ?
au bas de l’immeuble la balayeuse municipale effectue sa rotation matinale le long des trottoirs (...)
Mer de verre aussi transparente que le ciel
Trois lignes bleues trois bleus Rothko en mer
le soleil déjà haut glisse dessus
pas un souffle
au troisième les perceuses sont à l’œuvre qui se fraient un chemin entre les traits sonores des voitures des motos
une ambulance
à Paris 18ème huit morts dans l’incendie d’un immeuble deux enfants on aurait mis le feu d’autres enfants ou des guère plus vieux ?
il y a bien longtemps que l’on ne peut plus opposer la beauté et l’horreur
elles se côtoient se (...)
La mer s’est assoupie ou bien a prolongé son rêve
elle a poussé jusqu’au trottoir du boulevard un ours en peluche presque roux usé au bras duquel un enfant rom est accroché
ils dansent jonglent ours ballon tant pis pour les coups de pied la mère à côté tend la main et crie
l’enfant et l’ours n’en ont cure
plus tard quand je repasserai la mer aura emportée l’enfant et laissé le nounours
pourquoi ?
une passante vient ramasser la peluche et l’a hisse sur le totem d’un parcmètre
a-t-elle peur que la mer (...)
La mer est sourde aux avions qui passent et la regardent de haut
leur prétention à dominer ne l’impressionne pas
elle sait
et moi je me souviens du 11 septembre 1968 caravelle Ajaccio Nice 95 morts feu à bord ou tir de missile ? l’enquête est réouverte les familles (enfin) reçues par le juge
je revois
mais je ne sais plus le nom du camarade de classe son père était dans l’avion
la mer garde le silence son toit tranquille est d’un tombeau
marbre bleu fer couleur de tôle où se fracassent les (...)
La mer s’est levée par dessus les toits
pour ne pas qu’on l’oublie
ce serait si facile
tourner le dos fermer les yeux les oreilles obstruées par la rumeur automobile
ne plus écrire
lassé de la voir faire sa timide le soleil a pris la mer par la main et l’a poussée au devant de la scène
le concert va commencer
toute la ville dans la fosse d’orchestre
mais qui va conduire la musique ?
le soleil ? l’air transparent au vent ? ou les mots qui affûtent le regard à sa présence ?
ne pas savoir (...)
En aval de ma fenêtre une cheminée d’aération redistribue l’éclat du soleil levant en une sorte de morse
à qui s’adressent ces signaux lumineux ?
au bateau peint sur la crête d’horizon du même bleu que la mer ?
on dirait un tableau de Nicolas de Staël
de quoi les signaux veulent-ils le mettre en garde ?
le navire bascule de l’autre côté sans répondre
comme de Staël du haut du mur
solitude du bateau solitude de la cheminée solitude de la mer
solitude du peintre
solitude de celui qui écrit à l’abri (...)
L’angélus a sonné au clocher voisin appelant le soleil à devancer l’aurore
le soleil traîne chaque jour un peu plus
à quoi joue-t-il de l’autre côté du cap ?
la mer elle aussi s’impatiente
elle se sent seule sans lui
elle sait pourtant que viendront des jours obscurs la pluie la grisaille
elle voudrait profiter du soleil pendant qu’il en est encore temps
moi aussi
le voilà qui s’ébroue
la mer s’étire
se fait lascive
les quelques navires qu’elle égrène frémissent sur la houle de sa langueur
ça (...)
La mer ne garde pas traces de la nuit
elle essuie le ciel du revers de ses vagues
peurs angoisses menaces
à chaque aube elle refait les commencements
chaque jour un jour nouveau sort de la mer lavé de neuf
reste ce que l’on en fera
la mer est spectatrice de nos manquements
elle est lasse de nos égarements
une voile jaune parachute ascensionnel croit pouvoir la dérider
à peine un trait de sciure sur son visage indifférent
elle a bien autre chose à faire
elle ressasse les blessures que (...)
Jusqu’à ce jour la mer était toujours étale frémissant à peine au ras des serviettes de plage étalées sur les galets
baigneurs ravis enfants rieurs
on entrait dans la vague sans trop savoir où était le dehors où était dedans
d’un seul bleu le ciel la mer les galets le nageur
l’impression de s’y fondre
jusqu’à ce jour de roulement des galets de poudre luminescente jetée à la face du ciel
mer qui se dresse
qui revendique d’être mer malmenant la rive vacancière
midi
il n’y a presque personne sur la (...)
Un hélicoptère plus petit qu’une libellule survole la mer
puis un autre
on dirait qu’ils la mesurent minuscules arpenteurs d’un lé de tissus sans lisière
je ne fais pas mieux
j’ai beau recopier tous les noms de bleu disponibles
bleu acier bleu barbeau bleu canard bleu cobalt bleu égyptien bleu fumée bleu givré bleu horizon bleu indigo bleu Klein bleu lavande bleu maya bleu nuit bleu outremer bleu paon bleu pervenche bleu pétrole bleu saphir bleu turquin
cette nomenclature glisse sur la surface (...)
Les nuages en majesté glissent à petit pas
la mer est leur tapis d’apparat
elle les regarde passer
nés de l’eau ils reviendront à l’eau porteurs de la mémoire des lointains
la mer la recevra comme une offrande
comme une tâche
gardienne des mémoires depuis l’aube du premier jour
elle sait tout
ce que nous sommes d’où nous venons
il n’y aurait qu’à poser l’oreille
mais on ne fouille pas les flots ni carottage ni forage
la mer fuit entre les doigts et la mémoire qu’elle sauve- garde
à quelle fin ? (...)
Toute une nuit à se perdre dans un fracas sans secours
le ciel disparu
la mer noyée dans plus eau qu’elle
la terre qui craque comme un rafiot dans la tempête
les eaux d’en haut les eaux d’en bas
rompues
une seule ténèbre
l’eau a un goût de poudre qui explose au contact de l’eau
le vivant n’est plus que paille fétu rien
prier ?
l’aurore finit par revenir chancelante flétrie doigts brisés
mais néanmoins l’aurore
mer et ciel éperdus gris de cendre un poussier de galets
encore un jour qui (...)
Cette fois la mer était verte vraiment verte perse turquoise émeraude vert bouteille avec d’immenses remous blancs qui découronnaient la crête des vagues
un champ de mer qui avait l’air fertile
on aurait dit que la mer ne voulait plus ressembler à la mer
elle voulait échapper aux regards photographiques qui l’épinglent aux murs des souvenirs
papillon sans aile
elle voulait dire
quoi ?
la ville faisait trop de bruits et les passants et les baigneurs
elle chantait qui pouvait l’entendre ?
je (...)
Entre le ciel ennuagé et le mur fer blanc que la mer a dressé en miroir
un rai blanchi de lueur est venu se glisser
outrepasse l’horizon
attire vers les lointains où le regard ne peut suivre
un bateau s’y est risqué
lui confier les attentes que la nuit a laissées en brèches
bribes de rêves souhaits inarticulés
cargaison de bric et de broc
pacotilles que l’on voudrait troquer contre de l’inconnu lumineux
mais le bateau entraîne la nappe d’eau derrière lui ses rives ses villes ses déserts
la (...)
On dirait des îles qui se seraient formées pendant la nuit
la mer aurait tremblé
elle aurait arraché de ses fonds des lanières de terre
les aurait hissées au gré des courants
un peu de terre nouvelle offerte à la liberté de l’air
un petit arpent pour recommencer
une autre histoire
encore faudrait-il qu’un humain et un autre et un autre osent s’y aventurer
plusieurs comme moi regardent de loin
pèsent le pour et le contre
imaginent qu’il y aurait
mais quoi ?
les rêves ne suffisent pas trop de (...)
Au rythme d’un chalumeau un air de fado
des ouvriers sur le toit d’un immeuble
emmitonnés de soleil naissant
réparations d’après pluie
le soleil vient constater les dégâts
la musique amplifiée rode d’un toit à l’autre
jusqu’à la mer qu’elle agace de nostalgie
manque de quoi ?
ici pas de saudade le français n’a pas un tel mot
un bonheur hors du monde suggère Camões
ce matin l’horizon est trop net la mer trop pleine d’elle-même pour se laisser atteindre
elle renvoie le fado à ses terres océaniques
un (...)
Viendront-ils ?
la baie promet des anges que personne n’a jamais vus
barques ? dauphins ? mouettes ?
ou simplement crêtes blanches hachurant le dôme bleu
petits coups de pinceaux
illusion de vies réinventant le vent à la surface de l’eau
je vois ce que je crois
ces vagues dodelinant à petits coups d’ailes blanches jusqu’à la plage où elles déposent des corps
des miracles parfois
un bout de bois à tête de chien venu de l’autre bord de l’eau
Anubis embaumeur des défunts
ange des dépouilles
je (...)
Pas de signes
rien
pas même la risée d’une reconnaissance
un cairn de galets
qu’a-t-elle fait de ce que je lui ai confié ?
les bégaiements de l’enfance
la jouissance des corps
les coups de sang face à la mort
le balbutiement des renaissances
je m’approche
le regard ne voit rien mais le corps devine
la mémoire rumine sous l’apparence nue
parfois elle se tend explose
le corps se plie tressaute joie ou douleur il ne sait pas succombe à la tentation de se jeter
mais nul ne saisit la (...)
Est-ce qu’on peut dire ce matin que la mer est gris soleil
que l’œil se voile à essayer de regarder
gris éblouissant qui rend toutes choses égales – les toits les façades le ciel
image de télé aux couleurs mal réglées
à moins que ce ne soit le monde lui-même plongé dans la confusion
tout également obscurci dans l’oxymore d’une poussière lumineuse
je cligne les yeux fronce les sourcils ne voit pas mieux
il y a des matins où discerner est resté dans les rêves
on aborde le jour à l’aveugle
comme (...)
0 | 20