1 - La première alerte survint alors que je roulais sur l’autoroute en direction de Narbonne.
2 - Mon arrière-grand-mère maternelle avait été la dernière de mon entourage que j’entendis parler provençal.
3 - La seule fois où j’entendis mon grand-père parler dans cette langue, c’était à Nice, sur le marché.
4 - Si nous ne parlions pas le provençal, c’était pourtant une langue dans laquelle nous avions le droit de chanter. A l’église.
5 - Je ne sus que des années plus tard l’origine du (…)
La première alerte survint alors que je roulais sur l’autoroute en direction de Narbonne. Je venais de passer Montpellier. A force de manœuvrer l’auto-radio en quête de quelque chose d’audible, m’était parvenu un Aqui radio lenga d’oc, una radio del nord de la Miegterrana... sur lequel je m’étais arrêté. Je m’amusais à essayer d’en comprendre quelques bribes. La régularité du moteur faisait une sorte de basse continue et sans, que j’y prenne garde, la langue (les mots, les phrases, les (…)
Mon arrière-grand-mère maternelle avait été la dernière de mon entourage que j’entendis parler provençal. Née à Claviers, un petit village du haut-var, elle avait pourtant fait beaucoup d’efforts pour s’obliger au bien parler et rejeter dans les arrières-cours de sa vie paysanne ce patois déconsidéré. Elle s’était en tout cas employée à ce que ses enfants s’en tiennent à la langue nationale imposée qui ouvrirait à certains d’entre eux les portes de la fonction publique. Elle y réussit si (…)
La seule fois où j’entendis mon grand-père parler dans cette langue, c’était à Nice, sur le marché. Le jeudi, j’aimais bien y aller avec lui. Je lui donnais la main. De l’autre, il tenait son cabas noir. Nous déambulions entre les étalages du cours Saleya. Fleurs. Fruits. Légumes. D’abord il faisait le tour. Regardait. Comparait. Puis s’étant fait un avis il décidait de ce qu’il allait acheter (et donc de ce que nous allions manger) et à quel marchand il allait le faire. Alors que bon nombre (…)
Si nous ne parlions pas le provençal, c’était pourtant une langue dans laquelle nous avions le droit de chanter. A l’église. Dans les draperies et l’encens de la liturgie villageoise, la vieille langue oubliée semblait autorisée à une dignité que nous ne lui connaissions pas ailleurs. Les saints protecteurs des lieux lui étaient propices pour lesquels, chaque année, aux dates votives, on faisait résonner dans l’édifice le viei e dous parla. Ces jours-là, on avait même l’impression que portée (…)
Je tournais donc le dos à la terre et à la langue. Mais le mal du pays n’est pas un simple effet littéraire. Quel que fût le consentement que j’avais pu apporter à ce départ, le désir d’aller voir ailleurs, plus loin, plus au nord, exilé volontaire à Lyon au prétexte d’études, après avoir trop longtemps écouté et chanté les lamentations des déportés assis au bord des fleuves de Babylone – By the rivers of Babylon, there we sat down... - je venais à mon tour m’asseoir au bord du fleuve. Le (…)
Je ne sus que des années plus tard l’origine du Coupo santo. Nous était revenu d’Algérie un oncle, cousin germain de mon grand-père, qui n’ayant pas de famille était venu habiter près de chez nous. Il venait au moins une fois par semaine manger à la maison. C’était un homme de grande culture, inspecteur des finances parti de l’autre côté de la Méditerranée se faire une vie et une situation mais qui, disait-on, pour l’amour d’une femme tout autant resplendissante que dispendieuse, s’était (…)
Le hasard, la force de l’amour, plutôt, et le destin d’une vie qui y trouva son accomplissement, firent que des innombrables villes et quartiers dont l’Ile-de-France est nantie, ce fut sur la commune de Draveil qui m’accueillit, là que je vis toujours, à quelques centaines de mètres d’un hameau aujourd’hui rattaché à la commune, Champrosay, où, résistant vaillamment aux promoteurs grignotant le paysage alentour, près d’une chapelle devenue la "Petite paroisse" de l’un de ses romans, se (…)
A quel point Maurras était provençal, je ne l’ai découvert que très récemment à la lecture de l’ouvrage que Stéphane Giocanti lui a consacré. Je m’étais enfin décidé à aller voir de quoi il retournait dans cette pensée, cette écriture aussi, qui avaient à tel point conquis deux générations des hommes de ma famille qu’elles avaient largement contribué à leurs errements de la collaboration, si bien que l’un en était mort exécuté à la Libération et plusieurs emprisonnés puis déchus de leurs (…)
Je veux croire à cet air du temps que l’on respire sans y prendre garde, une bouffée ici, une bouffée là, et un jour ça prend corps en soi, comme si c’était de soi, on ne sait pas comment ça a commencé ce dont on est sûr c’est que cela répondait à une attente que l’on ne savait pas dire, comme une réponse qui serait venue sans que l’on eût eu conscience de poser la question. Ainsi de l’occitanisme qui nous échut dans ce début des années 70. On peut bien sûr, après coup, en retracer le (…)
Étions-nous condamnés (nous, provençaux de la marge, occitans des frontières) à devoir toujours chercher notre vérité sur des terres et dans une histoire qui n’étaient pas les nôtres ? Je n’avais peut-être fait que substituer à la lointaine Haute-Provence une Occitanie tout aussi lointaine puisque finalement languedocienne tant sur le plan de la culture, de l’histoire, que de la langue elle-même dont la graphie désormais orthodoxe – définie à Montpellier, à Toulouse – s’opposait à celle de (…)
De toutes ces identités perdues, je ne pouvais finalement revendiquer aucune. Je n’étais rien. Sorte de métèque. Ne sachant baragouiner qu’une sorte de sabir qui est la marque des éternels étrangers. Étranger sur ma propre terre de naissance. Ne sachant quelle était ma langue et la barbouillant tour à tour de couleurs provençales, nissardes, mistraliennes, languedociennes, tantôt mimant le parler troubadours, tantôt celui des poissonnières, l’érudit et le populaire, tout ça mêlé au français, (…)
Il arriva qu’ayant publié un roman qui se passait à Nice – le Nice de mon enfance – un éditeur s’avisa de me commander un texte sur cette ville qui, par bien des aspects, m’était devenue étrangère. J’y retournai. Me mis à arpenter ses rues. Parmi les odeurs d’eucalyptus, de mer, de mimosas, les rumeurs de vagues, les couleurs bleu galet que j’essayais de dire, me revint le goût de cette langue évanouie. Traînant dans les quartiers de l’arrière port, je l’entendais parler. Je retrouvais les (…)
Lorsque je reviens dans "mon" village et en parcours les étroites ruelles, c’est bien des langues que j’y entends désormais. Anglais, allemand, néerlandais. Et l’arabe, aussi, un arabe tunisien que parlent de nombreuses familles venues s’installer ici à la suite des hommes qui ont traversé la mer à la recherche d’un travail. Maçons, plombiers, jardiniers, travaux de force et d’entretiens. Certains ont maintenant créé leur propre entreprise. Et sur le flanc des camionnettes, les patronymes (…)
Au jour où, à Mouans-sartoux, je fus saisi par cette langue, je m’empressai d’acheter deux livres de Robèrt Lafont que j’emportai aussitôt dans mon exil francilien. L’un est un cycle de poèmes, La Gacha et la cisterna, paru aux éditions Jorn. L’autre est un roman, L’Enclaus, publié par l’Institut d’Estudis Occitans que Lafont a longtemps présidé. Je les ouvre. Tente d’en lire quelques pages. Je peine. Il y a la difficulté d’un vocabulaire très riche que non seulement je ne possède pas mais (…)
Il faut que je fasse attention, me dit ma mère, au téléphone. Je glisse de plus en plus facilement des mots de provençal dans ce que je dis. Je vais finir comme ma grand-mère... Elle ne m’en chante pas moins un cantique à Saint-Joseph qu’elle a découvert lors d’un pèlerinage au sanctuaire Notre Dame de Grâces, à Cotignac :
Sant Joùsé se’n va en pélérinagé Rencontro Gaspard qué plour’e souspiro Qu’as, digo, Gaspard, qu’en plourant souspires ? Ièu, more de set, et trove ges d’aigo...
Ce (…)