Petits points cardinaux

Michel Séonnet

Retour à la langue perdue

1 - La première alerte survint alors que je roulais sur l’autoroute en direction de Narbonne.

2 - Mon arrière-grand-mère maternelle avait été la dernière de mon entourage que j’entendis parler provençal.

3 - La seule fois où j’entendis mon grand-père parler dans cette langue, c’était à Nice, sur le marché.

4 - Si nous ne parlions pas le provençal, c’était pourtant une langue dans laquelle nous avions le droit de chanter. A l’église.

5 - Je ne sus que des années plus tard l’origine du Coupo santo.

6 Je tournais donc le dos à la terre et à la langue.

7 - Des innombrables villes et quartiers dont l’Ile-de-France est nantie, ce fut sur la commune de Draveil qui m’accueillit.

8 - A quel point Maurras était provençal, je ne l’ai découvert que très récemment

9 - Je veux croire à cet air du temps que l’on respire sans y prendre garde

10 - Étions-nous condamnés (nous, provençaux de la marge, occitans des frontières) à devoir toujours chercher notre vérité sur des terres et dans une histoire qui n’étaient pas les nôtres ?

11 - De toutes ces identités perdues, je ne pouvais finalement revendiquer aucune.

12 - Il arriva qu’ayant publié un roman qui se passait à Nice, le Nice de mon enfance, un éditeur s’avisa de me commander un texte sur cette ville qui, par bien des aspects, m’était devenue étrangère.

13 - Lorsque je reviens dans "mon" village et en parcours les étroites ruelles, c’est bien des langues que j’y entends désormais. Anglais, allemand, néerlandais. Et l’arabe, aussi.

14 - Au jour où, à Mouans-sartoux, je fus saisi par cette langue, je m’empressai d’acheter deux livres de Robèrt Lafont que j’emportai aussitôt dans mon exil francilien.

15 - Il faut que je fasse attention, me dit ma mère, au téléphone. Je glisse de plus en plus facilement des mots de provençal dans ce que je dis. Je vais finir comme ma grand-mère...

© Michel Séonnet. | Contact        SPIP | squelette | | Suivre la vie du site RSS 2.0     Réalisé par Rature.net