La mer est sourde
aux avions qui passent
et la regardent de haut
leur prétention à dominer
ne l’impressionne
pas
elle sait
et moi je me souviens
du 11 septembre
1968
caravelle Ajaccio Nice
95 morts
feu à bord ou tir de missile ?
l’enquête est réouverte
les familles (enfin) reçues
par le juge
je revois
mais je ne sais plus
le nom du camarade de classe
son père était dans l’avion
la mer garde le silence
son toit tranquille
est d’un tombeau
marbre bleu fer
couleur de tôle
où se fracassent les vies
et pourtant
sous la dalle
ce bercement grisant
d’un ventre
fécond
tellement semblable à
celui d’où nous venons
d’où je viens
ne sachant plus si la mer
est ma mère ou ma sœur
jumelle
de tant de rêves
de doutes
d’attentes
de déroutes
sœur au ventre pareil
de la fenêtre j’entrevois
son murmure
elle aussi parle en
langues
mais qui pour interpréter ?
je m’y risque
moi qui suis sourd
et si peu
polyglotte
les vagues ont poussé
dans les rues
les vocables croisés
de toutes ses langues
je ne sais les compter
m’épuise à vouloir les nommer
un palimpseste
d’idiomes
dont on ne sait jamais
quel texte
recouvre l’autre
quelle langue
ville bigarrée
mais qui préfère à sa bigarrure
sa renommée d’azur postiche
comment dit-on bigarré en nissart ? [1]
même étale
la mer se multiplie
et multiplie qui la regarde